Créée en 1824, la route reliait dans un premier temps Seyssel
à Valence. Le rattachement de la Savoie à la France en 1860 (on
va en parler souvent!) autorise un trajet sans frontières jusqu'à
Genève mais, d'après le site routier Wikisara ce n'est qu'en
1923 que la RN92 reliera Viry, près de Saint-Julien-en-Genevois
à Valence, dans la Drôme. En 1959, c'est la nationale 206 qui passe
par Saint-Julien: nous en ferons néanmoins notre point de départ
en raison de l'importante position de carrefour de ce bourg et pour
faire un premier point sur l'historique compliqué des routes de
la région.
Aux portes de Genève, Saint-Julien est une petite cité dont
le nom n'apparaît qu'en 1253. Sa relative importance fait qu'on
lui accorde en août 1537 la tenue d'une foire hebdomadaire tous
les mercredis. Les lieux sont alors, nous dit L'histoire des communes
savoyardes, sous possession bernoise. Au XVIIIe siècle, Saint-Julien
est une zone de fabrication de pièces d'horlogeries pour les industries
de Genève; on y compte, signe d'une activité routière conséquente,
sept hôteliers et deux cabaretiers. La cité retrouve son rôle de
sous-préfecture en 1860 avec le rattachement de la Savoie à la France
et après un premier et bref épisode entre la Révolution française
et la fin du Premier Empire. Au cours de cette dernière période,
toute la région genevoise est d'ailleurs française depuis 1798 sous
le nom de département du Léman.
Aujourd'hui, c'est à Saint-Julien que se croisent les routes
d'Annecy (N201 historique, D1201), de Seyssel et de Bellegarde (N206
historique, D1206). Aux temps gallo-romains, le carrefour entre
les voies de Vienne (par Frangy) et de Chambéry se faisait plus
loin de Saint-Julien; la chaussée venant d'Annecy descendait le
Mont-Sion par Le Chable, Neydens et rejoignait Genava par
Lancy et Carouge. C'est seulement là que cette voie retrouvait la
chaussée en provenance de Vienne. Plus tard, au Moyen-Age et jusqu'au
XVIIe siècle, le trafic Annecy-Chambéry-Genève allait se concentrer
sur la voie passant par le défilé de Chaumont pour rejoindre ensuite
L'Eluiset et Viry (en fait, la RN92 historique...).
La route entre Annecy et Genève (l'ancienne N201) passant par
Cruseilles fut, elle, grandement améliorée au XIXe sous le régime
sarde: entre 1815 et 1850 eurent lieu de grands travaux qui améliorèrent
son état, notamment au passage des Usses, au Pont-de-la-Caille.
Dès lors, les anciennes routes furent abandonnées à son profit.
Mais prenons maintenant la direction de Viry, point de départ officiel
de la RN92 historique de 1959. C'est une commune, nous dit le site
municipal viry74.fr, fort étendue et qui comporte douze hameaux:
comme le Fort, qui tient son nom d'une fortification construite
au XVIe siècle par le duc de Savoie puis ravagée par Henri IV, l'allié
des Genevois en 1601; ou comme l'Eluiset, situé au pied de la montagne
de Sion, qui hébergea d'ailleurs le roi de France pendant ses opérations
militaires dans la région.
Peu après L'Eluiset, on grimpe gentiment en ligne droite
en direction de Jonzier-Epagny. Derrière nous, la vue est large
sur le Jura et la région de Genève. La montagne de Sion, sur laquelle
la chaussée est établie est un plateau peu élevé (821 m); c'est
en fait la moraine du gigantesque glacier du Rhône, poussée ici
par les glaces il y a 10 000 ans. Les communes de Jonzier (sur la
route principale) et d'Epagny (plus à l'ouest) ont réalisé leur
fusion en 1866, six ans après le rattachement de la Savoie à la
France. Les bureaux de vote, nous précise l'encyclopédie en ligne
Wikipédia sont restés séparés jusqu'en 1989!
 |
La
route nationale 92 historique prend la direction de Frangy.
Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
La
voie (auj. D992), dès lors, après avoir longé Minzier, croise
la route de Marlioz (D7) au niveau de Pont-Fornant. C'est ici qu'arrivait
avant 1830 le chemin d'Annecy à Genève en provenance de La Balme
et Sallenoves; il traversait Marlioz (étape à l'auberge du Lion
d'or) après un trajet virevoltant dans les monts environnants. Ce
n'est que plus tard que les Sardes aménagèrent le passage du pont
des Douattes, ce qui fit passer le trafic par Frangy où un pont
plus pratique avait été réalisé au XVIIe siècle.
Mais, auparavant, nous voici aux environs de Chaumont après
avoir passé le Malpas. Le village, adossé à la montagne de Vuache,
a eu par le passé une grande valeur stratégique et administrative,
en raison de sa situation sur l'axe Genève-Seyssel. Le bourg a même
hébergé, jusqu'au XVIIIe siècle, un trafic semi-clandestin fort
lucratif de blé de France en direction de Genève. Les récoltes,
qui arrivaient d'une enclave savoyarde en France, la vallée de la
Valserine, transitaient par Chaumont avant de gagner leur destination.
Le rattachement, en 1760, de la Valserine à la France fit rapidement
décliner ce trafic. Au XIXe siècle, Chaumont perd de son importance
au profit de Frangy...
 |
Peu
après le Malpas. Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
 |
Ancienne
signalisation directionnelle vers Minzier. Photo: Marc Verney,
juillet 2011. |
Une
descente assez forte nous emmène vers Frangy. Au début du XIXe
siècle, la petite cité, qui produit pourtant depuis le XIVe siècle
un vin blanc réputé, ne dispose que de peu d'accès vers l'extérieur:
la route de Seyssel, celle de Genève par Chaumont et celle de Chambéry
par Rumilly. L'axe Annecy-Bellegarde n'existe tout simplement pas.
Un homme, Claude-François Bastian, va donner à Frangy la place qu'elle
a aujourd'hui. Riche notaire et avocat, il va militer dès avril
1830 pour le développement des communications dans la région et
notamment l'établissement d'une route entre Annecy et Bellegarde
par sa cité. Agé de 70 ans, l'homme ne verra pas la réussite de
son projet, achevé par son fils, Claude-Pie-Amédée, qui vient à
bout de la principale difficulté du parcours, la gorge des Douattes
où coulent les Usses. Un pont, construit avec peine par l'ingénieur
Mollot, enjambera les Usses en mai 1838 (deux précédents ouvrages
s'écroulèrent en 1833 et 1835).
 |
Sur
les murs d'une ancienne auberge à Seyssel (Haute-Savoie).
Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
Du
coup, Frangy verra le trafic s'accroître; au XXe siècle , ce
sont les skieurs montant dans les stations alpines qui font le bonheur
des hôteliers et restaurateurs de la petite cité... La gazette
de Frangy autrefois nous signale un Frangypan pionnier de l'auto:
Armand Bange se fabriqua sa propre voiture au début du XXe siècle
et remporta plusieurs épreuves internationales dans les années vingt.
On sort de Frangy par l'ancienne nationale 508 (D1508) et on bifurque
en direction de Seyssel peu avant Mons.
La route de Seyssel suit, dans le vert et productif val des
Usses, un itinéraire commercial fort fréquenté entre le Rhône et
Frangy, aménagé dès 1760 et jusqu'au XIXe siècle par l'Etat sarde.
Plusieurs ouvrages d'art furent construits tout au long du parcours,
mais, c'est seulement en 1842, nous précise Paul Dufournet dans
son livre Pour une archéologie du paysage, Bassy et alentours,
que la route actuelle fut établie sur la berge des Usses, en finissant
avec de médiocres chemins pouvant même suivre le lit des rivières.
Un
port de commerce sur le Rhône: le Regonfle
Au confluent du Rhône et des Usses se trouvait un vaste bâtiment,
aujourd'hui noyé par l'élevation du cours du Rhône, en 1951.
Là, sur cette langue de terre, se situait l'un des havres les
plus importants approvisionnant Genève. Durant des siècles,
les marchandises les plus diverses mais aussi le sel, transitaient
par le port de Regonfle avant de gagner Genève et la Suisse
par la route de Frangy. Plus à l'est, à Desingy, on a retrouvé
de nombreuses traces de l'ancienne voie romaine Seyssel (Condate)
à Genève. C'est par là aussi que passait très certainement,
au Moyen-Age, le précieux sel. |
 |
La
route nationale 92 historique longe une usine qui utilise l'énergie
hydraulique pour produire de l'électricité. Son érection a submergé l'ancien port du Regonfle. Photo: Marc Verney,
juillet 2011. |
Seyssel
(Haute-Savoie) s'annonce au bout d'une lente descente vers le
lit du Rhône. La cité a, très tôt, joué un rôle majeur dans les
liens commerciaux entre Lyon et Genève. Condate, le noyau
romain de Seyssel (au sud de l'actuel bourg) est ainsi signalé sur
tous les itinéraires de l'Empire romain comme une station principale
entre Vienne et Genève. Et puis c'est la puissante compagnie des
nautes de Lugdunum qui se charge, au 1er siècle, de l'aménagement
du port de Condate (qui n'est pas le Regonfle d'ailleurs).
Le traité de Lyon en 1601 change une première fois la politique
locale: le Bugey, la Bresse et sept localités têtes de pont sur
la rive gauche du Rhône (dont Seyssel) passent au royaume de France.
Du coup, la ville a le triste privilège de voir passer les armées
royales à chaque invasion de la Savoie: Louis XIII en 1630-31, Louis
XIV, de 1690 à 1699 et de 1709 à 1712... Plus tard, en 1760, un
nouveau traité entre la France et le Piémont-Sardaigne fait passer
la frontière au beau milieu du Rhône... De là datent les "deux"
Seyssel, Haute-Savoie et Ain...
Après une brève réunification entre 1792 et 1815, les "deux"
Seyssel se rabibochent en 1860, lors du rattachement de la Savoie
à la France (ouf!). Mais l'activité portuaire évoquée prédécemment
pâtit de ce rapprochement. Seyssel se trouve hors de la zone franche
qui alimente Genève. Dès lors, l'intérêt du port de Regonfle ainsi
que de la route des Usses diminuent rapidement. La mise en place
du chemin de fer accentue encore ce déclin.
 |
La
cité de Seyssel (Haute-Savoie) sur le Rhône. Photo:
Marc Verney, juillet 2011. |
Seyssel,
un pont trop long?
Pas facile d'établir un ouvrage sur le tumultueux Rhône! Il
n'est pas sûr, nous dit L'histoire des communes savoyardes,
que les Romains aient pu réaliser ici un pont. Un simple bac
semblait faire la liaison entre les deux berges. Puis, ce sont
des ouvrages en bois qui sont construits, détruits, et refaits
en 1674, 1764, 1765, 1780, 1795, 1823... Le plan de 1760 montre
quand même l'ingéniosité des hommes de l'époque: sans béton
ni acier spécial, ils réalisent un franchissement en bois en
quatre parties reposant sur des points fixes (pile ou culées)
et sur une "brisolette", un échafaudage de bois lui même déposé
sur des "ponelles". Celles-ci sont arrimées avec des cables
à la pile centrale et aux deux rives. Malgré un renforcement
par des pieux posés dans le lit du fleuve, ce pont de bois sera
dévasté par un ouragan en 1764... Plus tard, en 1815, le pont
sera incendié par l'armée française retraitant devant l'envahisseur
autrichien. En 1823, Sardes et Français unissent leurs efforts.
Mais c'est encore un échec qui aboutit finalement en 1838 au
pont suspendu tel que nous le connaissons aujourd'hui. A noter
que celui-ci reprend appui sur l'ancienne pile totalement reconstruite
pour la circonstance. Ce pont a été longtemps doublé d'un ouvrage
provisoire avant la création de l'ouvrage contemporain qui rejette
la circulation de transit au sud de la petite ville. |
 |
Le
pont de Seyssel sur le Rhône. En face: Seyssel (Ain).
Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
 |
Seyssel
et son pont en 1837. Fresque peinte sur un des murs de la ville.
Photo: Marc Verney, juillet 2011. |
Marc
Verney, Sur ma route, septembre 2011
|