Ancienne borne kilométrique de la R.N.4 historique photographiée aux abords de Phalsbourg (photo: MV, déc. 2006).
Comment visiter l’endroit: en voiture: par l’autoroute A4 en venant de Paris, il faut suivre la sortie 44 à Phalsbourg. Pour la route du XVIIIe il suffit de suivre la D1004 (R.N.4 historique) entre Phalsbourg et Saverne.. Le parking du Jardin botanique permet de stationner et d’accéder facilement au rocher du Saut-du-Prince-Charles où se trouvent les plus anciens vestiges. A pied: c’est, de loin, la manière la plus sympathique. La plupart des lieux intéressants sont accessibles en suivant un sentier circulaire fléché (notre photo) par le Club vosgien de randonnées depuis la rue principale de Saverne. Par ailleurs, le sentier balisé avec la croix bleue relie Saverne au col, puis au lieu-dit Bonne-Fontaine (photo: MV, sept. 2016).
Sources et documents utiles: carte de randonnée IGN Saverne-Sarrebourg n°3715OT (2006); «Colonnes indicatives du Ier Empire dans le Bas-Rhin», Marc Heilig, Archéographe (2004); Histoires de voyage (de Paris à Strasbourg et aux bords du Rhin); voyage d'un étudiant et ses suites variées, P.J. Stahl, J. Hetzel éd. (1875); Histoire de Saverne, Henri Heitz, Gérard Imbs, SHASE (2012); Histoire des routes en Alsace, Jean Braun, Presses universitaires de Strasbourg (1987); La côte et le col de Saverne, Henri Heitz, Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs (1999); «RN4: vous aurez l'Alsace et la Lorraine (III)», Marc Verney, surma-route.net (2013); eckartswiller.fr (photo: MV, sept. 2016).
Aujourd'hui, la R.N.4 porte le numéro R.D.1004 (photo: MV, sept. 2016).
Dans le sous-bois, les anciennes infrastructures de la route du XVIIIe siècle comme ce ponceau sont encore visibles (photo: MV, sept. 2016).

Les belles routes de France...
R.N.4: LES JOLIES BOUCLES DE SAVERNE
Au fil des époques, le passage par Saverne n’a pas toujours eu l’importance économique ou stratégique des col vosgiens de Bussang ou du Bonhomme. Et cela même si l’on y trouve une voie romaine et un passage datant de la Renaissance. Mais, alors que Strasbourg et sa région passent sous domination française au XVIIe siècle, l’Ancien Régime s’attache à créer la route d'Alsace tronçon par tronçon. Du coup, un passage aisé par cette partie des Vosges devient politiquement nécessaire...

Le col de Saverne, 413 m, passage naturel dans les Vosges, permet la jonction entre l'Alsace et la Moselle (photo: Marc Verney, sept. 2016). En cliquant sur l'image, vous continuez vers Strasbourg!

A la sortie de Saverne, en direction du col, on trouve ce panneau Michelin d'indications touristiques curieusement attaché à la rambarde métallique (Photo: Marc Verney, septembre 2016).

Le passage du col de Saverne est, sans nul doute, le point le plus intéressant de la chaussée de Paris à Strasbourg. En 1770, le poète Goethe s’émerveillera des lieux et, à la Cour du roi de France, on ira jusqu’à imaginer une virevoltante coiffure féminine en hommage aux beaux lacets de ce col… Depuis Phalsbourg, il faut cinq bons kilomètres pour se trouver au niveau de la porte de l'Alsace. Sur le chemin, ne ratez pas, tout d’abord, après Danne-et-Quatre-Vents, une superbe colonne d’indications routières en grès rose, de 6 mètres de haut située au carrefour avec la départementale 122. Celle-ci fait partie d’un ensemble de onze colonnes, démontées du château de Saverne après l’incendie de 1779, et réinstallées dans les premières années du XIXe siècle au croisement de plusieurs routes alentours. «Des inscriptions kilométriques soulignées par une flèche directionnelle y ont alors été gravées», précise le site eckartswiller.fr. Renversé lors des combats de la Seconde Guerre Mondiale, l’édifice (la photo est sur la partie III de notre promenade vers l'Alsace sur la R.N.4 historique!), qui mentionne Saverne à 5,6 km, est relevé grâce au célèbre fabricant de brouettes Haemmerlin…

L'obélisque de la Fontaine-d'Alsace (il n'y a pas d'eau!) est érigé en 1811 (photo: Marc Verney, septembre 2016).

Un peu plus loin, le col de Saverne, 413 m, passage naturel dans les Vosges, permet donc la jonction entre l'Alsace et la Moselle. C’est là, indique l’historien Henri Heitz dans l’ouvrage La côte et le col de Saverne, «que le plateau lorrain tend vers l’Est, une sorte de promontoire triangulaire, une avancée de surface unie jusqu’au bord de l’abrupt de l’escarpement». Dès l’époque gauloise, il y a ici un des plus grands oppidums de la Gaule indépendante. Il appartenait à la tribu des Médiomatriques. Plus tard, au temps des Romains, le col a été franchi par la voie Metz-Strasbourg dès le 1er siècle, raconte encore Henri Heitz; il y avait deux routes, une pour la montée, l’autre pour la descente, situées au nord de la route contemporaine. Ce premier chemin n’avait que trois ou quatre mètres de largeur; on roulait sur du gravier tassé, voire sur la roche elle-même. Au sommet, le lieu-dit Usspann servait de poste de relais après la montée ou avant la descente. on y dételait les chevaux de renfort nécessaires pour la montée. Au pied des monts, Tres Tabernae (le Saverne actuel) servait de lieu d’étape, signale l’Histoire de Saverne. Plus tard, du XIIIe siècle à la Révolution, le bourg fera partie des possession des princes-évêques de Strasbourg. Au Moyen-Age, les tracés antiques sont délaissés au profit de chemins suivants les lignes de crêtes.

Sur la "route des évêques", on remarque les spectaculaires sillons creusés à même la roche. Ils permettaient de guider les chariots par temps humide. De place en place, des encoches offraient la possiblité de poser des cales de bois empêchant le véhicule de reculer et de verser dans la pente (photo: Marc Verney, septembre 2016).
Un peu en contrebas du passage creusé, on remarque encore très nettement le talus de la chaussée passant au milieu de la végétation (photo: Marc Verney, septembre 2016).

Les archives d’Alsace sont riches en informations sur le sujet de la chaussée de la Renaissance. Elle passe au sud de la départementale 1004 actuelle. Et il faut se rendre à la base du spectaculaire rocher du Saut-du-Price-Charles pour en admirer les particularités. Là, au milieu d’un conglomérat de roches de grès rouge émergeant de la forêt, on trouve une dalle fixée à même la roche qui commémore la construction de la voie dite «route des évêques» sous «Guillaume III de Honstein» en 1524; une autre dalle sculptée célèbre l'élargissement de la route en 1616. En approchant au plus près, on s’aperçoit que le grès est creusé profondément en forme de rails pour y guider les lourds chariots par mauvais temps. De place en place, des entailles perpendiculaires aux ornières servaient à poser des cales en raison de la forte pente. Cet ancienne voie sera longtemps utilisée par les piétons empruntant le Zaberner Steige (la «montée de Saverne»). On y suit encore maintenant le sentier de grande randonnée n°53. Un peu plus bas, le remblai de la chaussée est encore bien visible au milieu des arbres, tout comme les nombreux murs de pierre qui servaient à retenir la terre nécessaire à la croissance d’un vignoble aujourd’hui disparu…

D'après le service régional de l'inventaire alsacien, la route de l’Ancien Régime (qui est aussi la R.N.4 historique) a été commencée en 1728 sur des plans d'Antoine de Régemortes et mise en service en 1737 pour un coût final de 87 042 livres. Cette voie en lacets était d’ailleurs, peut-on lire dans l’ouvrage Histoires de voyage (de Paris à Strasbourg et aux bords du Rhin); voyage d'un étudiant et ses suites variées, «la principale curiosité» de l’axe Paris-Strasbourg, «admirable descente, travail gigantesque (…) qui domine un superbe panorama de bois et de montagnes, de vallées et de rochers». Cette chaussée, nous précise l’Histoire des routes en Alsace, «comportait une déclivité de 6% maximum pour une dénivellation de 200 m. La route nouvelle était large de 11,70 m et comportait sept lacets. Il y avait des rigoles pour l’écoulement des eaux et des bas-côtés pavés pour les piétons». Dix-sept tunnels et ponceaux sont établis pour évacuer l’eau. Le revêtement, nous dit de son côté Henri Heitz, «comportait un pied de "pierre à chaux" calcaire  et un pied de gravier, d’où l’interdiction "d’enrayer" c’est-à-dire de bloquer les roues à la descente». «Une merveille d’architecture», pour Goethe, qui passait par là en 1770…

Réalisé par la Société d'histoire et d'archéologie de Saverne et environs (SHASE) ce plan des routes du col de Saverne se trouve non loin du passage du rocher du Saut-du-Prince-Charles, en pleine nature. La voie Renaissance est en vert (photo: Marc Verney, septembre 2016).

Un péage est perçu jusqu’en 1790 pour l’utilisation de cette route. Ainsi, un chariot chargé payait-il 4 sous. L’ouvrage d’Henri Heitz, La côte et le col de Saverne nous apporte encore quelques informations: l’obélisque dit de la Fontaine-d’Alsace est érigé en 1811 et le Jardin botanique, qui embellit la pente, est fondé en 1831. Dans les années 1960-70, les services de l’Etat vont largement retoucher le travail du XVIIIe siècle car le trafic est dense (10 000 véhicules par jour en moyenne): les murs de soutènement sont renforcés, certaines portions sont mises à trois voies, les peupliers, qui bordaient le bitume sont coupés.

Saverne n’est qu’à quelques pas. Les ultimes virages nous donnent l’occasion de longer plusieurs maisons cossues, de style wilhelmien, datant du début du XXe siècle. L’Alsace est alors sous domination allemande, et l’axe porte le n°1 jusqu’à Strasbourg. L’entrée dans la petite cité alsacienne a été modifiée une première fois en 1738 par la réalisation d’une chaussée de contournement au-delà des remparts puis, deux siècle plus tard, par la suppression du passage à niveau de la ligne SNCF Paris-Strasbourg. Encore plus tard, la mise en service de l’autoroute A4, au cours des années 1970, va lentement priver l’antique nationale de son flot de voitures… pour le plus grand bonheur des promeneurs des routes…

Marc Verney, Sur ma route, janvier 2017

Nota: cet article a été également publié dans la revue Rétro Tourisme (automobilisme, patrimoine et transports) n°6 parue au début de l'année 2017. Pour tous renseignements sur cette intéressante publication, cliquez sur ce lien.